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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

et ne prouve rien contre leur excellence. Les plus belles choses ne se vendent ni-ne s’achètent. L’amour, la beauté et la lumière ne se trouvent heureusement pas dans les boutiques. Au reste, aucun livre ne se vend ; les personnes les mieux nées ne rougissent pas d’envoyer louer des livres que leurs laquais n’osent qu’à peine rapporter avec un double gant ; des livres graisseux, tachés d’huile et de suif, sentant le comptoir et la cuisine, où chaque page porte l’empreinte d’un pouce qui n’a jamais été lavé, et les remarques stupides ou obscènes de quelque sergent de ville bel esprit et littérateur. C’est une honte. De belles et grandes dames, avec leurs mains charmantes aux doigts effilés, aux ongles roses qui n’ont jamais touché rien de rude et de grossier, feuillettent et manient sans crainte cette affreuse saleté qu’on appelle un roman nouveau !… En vérité, il ne serait pas superflu de présenter l’aiguière après la lecture comme après le repas. En Angleterre, les femmes de chambre seules s’approvisionnent aux cabinets de lecture. Si l’on veut un livre, on prend le nom et l’adresse du libraire et on l’envoie acheter. Et personne n’oserait avoir sur sa table un de ces volumes honteusement crasseux qui déshonorent les guéridons et les consoles des plus riches salons de France.

Un pareil état de choses est doublement nuisible sous le rapport de l’hygiène et de la littérature ; car,