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FUSAINS ET EAUX-FORTES

bleu ; j’étais secoué comme un cent de noix dans un tambour, et je ne savais où me prendre dans ce coffre de bois poli ; enfin l’on ouvrit une porte à coulisse le même baigneur tatoué m’invita à sortir et me demanda si je savais nager. Je répondis que oui. Il me fit marcher quelques pas sur le sable humide, l’eau ne montait pas à la cheville. Comme je ne pensais à rien, il arriva un grand rouleau d’un jaune sale qui me passa sur la tête et me fit faire une prodigieuse cabriole le rouleau s’en alla comme il était venu, et je me trouvai couché à plat ventre sur le sable et tirant ma coupe à vide. Le même rouleau endiablé ou un autre revint me prendre et me jeta, mais cette fois sur le dos, à quelques pas plus loin. Le baigneur me dit que je nageais admirablement bien. Je continuai ce joli manège encore quelques minutes, et l’on me remit dans ma boîte. J’en avais assez. Cette eau était amère, gluante, fétide et glaciale j’allai m’asseoir sur le môle pour attendre qu’il prit fantaisie à l’Océan de montrer un peu son nez. Il soufflait une bise assez rêche, et la marée allait monter. En effet, je vis arriver une quantité de bourrelets bordés d’une étroite frange d’un blanc sale, qui se poussaient les uns les autres avec un mouvement d’une régularité mécanique. On aurait dit un peloton emboîtant bien le pas ; cette lave perpétuelle dont l’Océan lubrifie ses bords ressemble à la mousse d’un grand savonnage, et rien n’a moins