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LES DANSEURS ESPAGNOLS.

raignées qu’on inquiète dans leurs toiles, et qui se démènent éperdument. Je ne sais si vous vous êtes avisé de faire une étude spéciale du cou et de la poitrine d’une danseuse ; les clavicules éclairées en dessous font une horrible saillie transversale où viennent s’attacher, comme des cordes de violon sur leur chevalet, quatre à cinq nerfs tendus à rompre, sur lesquels Paganini auraitjoué facilement un concerto. Le larynx, rendu plus sensible par la maigreur, fait une protubérance pareille à celle que fait au cou d’une dinde une noix avalée tout entière, et c’est en vain qu’on chercherait dans la plaine de leurs charmes la moindre rondeur ayant rapport à ce que messieurs les poètes nomment dans leur jargon les collines jumelles et, deux petits monts de neige autres belles expressions plus ou moins anacréontiques. Quant aux membres inférieurs, ils sont d’une grosseur tout à fait disproportionnée, de sorte qu’il semble que l’on ait vissé le corps scié en deux d’une petite fille phtisique sur les jambes d’un grenadier de la garde.

La Dolorès a la poitrine potelée, les bras ronds, la jambe fine et le pied petit quoiqu’elle danse très bien, elle est très jolie ; si l’on doit exiger rigoureusement la beauté, de quelqu’un, c’est à coup sûr d’une danseuse. Tout le monde a le droit d’être laid, excepté les acteurs et les actrices, les danseurs et les danseuses. Il peut suffire à une actrice d’un