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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

grand talent de n’être qu’agréable et gracieuse, mais it faut absolument qu’une danseuse soit très belle. La danse est un art tout sensuel, tout matériel, qui ne parle ni à l’esprit, ni au cœur, et qui ne s’adresse qu’aux yeux. Tenez-vous droite sur l’ongle de vos orteils, tournez un quart d’heure en rond, comme une toupie fouettée, levez la jambe à la hauteur des frises, qu’est-ce que cela me fait, si mes yeux sont choqués ?

Une femme qui vient à moitié nue, avec une frêle jupe de gaze, un pantalon collant, se poser devant votre binocle au feu de quatre-vingts quinquets, et qui n’a pas d’autre affaire avec vous que de vous montrer ses épaules, sa poitrine, ses bras et ses jambes dans une suite d’attitudes favorables à leur développement, me semble douée de la plus merveilleuse impudence, si elle n’est pas aussi belle que Phaëne, Aglaure ou Pasithée. Je suis peu curieux de voir un laideron se trémousser maussadement dans le coin de quelque ballet. L’opéra devrait être comme une galerie de statues vivantes où tous les types de beauté seraient réunis. Les danseuses, par la perfection de leurs formes et la grâce de leurs attitudes, serviraient ainsi à conserver et à développer le sentiment du beau qui s’éteint de jour en jour. Ce seraient des modèles aussi choisis que possible qui viendraient poser devant le public et l’entretiendraient dans des idées d’élégance et de bonne