Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien blanc pour appartenir au sexe barbu. Quant à la tête, légèrement inclinée vers la gauche, ses traits rappellent singulièrement ceux de la Joconde. Ils ont cette expression voluptueuse et sardonique, cette malice inquiétante et cette impénétrabilité de sphinx que nul n’a exprimées comme le Vinci. Le renflement des pectoraux, nécessité par la compression qu’exerce le bras sur la chair , simule avec ambiguïté la rondeur commençante d’une gorge féminine, et la peau d’agneau cache le reste. Les cheveux sont longs et bouclés. Il n’est pas impossible que Léonard de Vinci ait sous ce travestissement sacré, dont on trouverait d’ailleurs beaucoup d’exemples, représenté le type de beauté qui le préoccupait et lui inspirait au moins un amour d’artiste. Le Saint Jean serait donc avec des déguisements, pour dérouter le vulgaire, un second portrait de Monna Lisa plus idéal, plus mystérieux et plus étrange encore que l’autre, un portrait dégagé de la ressemblance littérale et peignant l’âme à travers le voile du corps.
Malgré sa couronne de pampres et son thyrse, il semble au contraire que Bacchus, assis au milieu d’un site agreste, une jambe passée sur l’autre, ait été primitivement un saint Jean-Baptiste ; mais sans doute sa beauté de dieu païen, le sourire de ses lèvres sinueuses, la joie secrète qui illumine ses yeux moqueurs auront fait retirer à sa main profane l’humble croix de roseau. Dans ce tableau, Léonard ne doit pas avoir employé ce fameux noir de son invention qui a tant repoussé et amené la nuit dans