Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/123

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Entre Asligarraga et Tolosa, nous traversâmes au galop de mules un bourg à demi ruiné par la guerre entre les christinos et les carlistes, dont nous entrevoyions confusément dans l’ombre les murs historiés d’énormes blasons sculptés au-dessus des portes et les fenêtres noires à serrureries compliquées, grilles et balcons touffus, témoignant d’une ancienne splendeur, et nous demandâmes à notre zagal qui courait près de la voiture, la main posée sur la maigre échine de la mule hors montoir, le nom de ce village ; il nous répondit : « Ernani. » — À ces trois syllabes évocatrices, la somnolence qui commençait à nous envahir, après une journée de fatigue, se dissipa tout à coup. À travers le perpétuel tintement de grelots de l’attelage passa comme un soupir lointain une note du cor d’Hernani. Nous revîmes dans un éblouissement soudain le fier montagnard avec sa cuirasse de cuir, ses manches vertes et son pantalon rouge ; don Carlos dans son armure d’or, dona Sol, pâle et vêtue de blanc, Ruy Gomez de Silva debout devant les portraits de ses aïeux ; tout le drame complet. Il nous semblait même entendre encore la rumeur de la première représentation.

Victor Hugo enfant, revenant d’Espagne en France, après la chute du roi Joseph, a dû traverser ce bourg dont l’aspect n’a pas changé, et recueillir de la bouche d’un postillon ce nom bizarre d’une sonorité éclatante, si bien fait pour la poésie qui, mûrissant plus tard dans son cerveau comme une graine ou-