Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/137

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On sortait de là brisé, haletant, joyeux quand la soirée avait été bonne, invectivant les philistins quand elle avait été mauvaise, et les échos nocturnes, jusqu’à ce que chacun fût rentré chez soi, répétaient des fragments du monologue d’Hernani ou de don Carlos, car nous savions tous la pièce par cœur, et aujourd’hui nous-même la soufflerions au besoin.

Pour cette génération, Hernani a été ce que fut le Cid pour les contemporains de Corneille. Tout ce qui était jeune, vaillant, amoureux, poétique, en reçut le souffle. Ces belles exagérations héroïques et castillanes, cette superbe emphase espagnole, ce langage si fier et si hautain dans sa familiarité, ces images d’une étrangeté éblouissante, nous jetaient comme en extase et nous enivraient de leur poésie capiteuse. Le charme dure encore pour ceux qui furent alors captivés. Certes l’auteur d’Hernani a fait des pièces aussi belles, plus complètes et plus dramatiques que celle-là peut-être, mais nulle n’exerça sur nous une pareille fascination.

Dix ans plus tard, nous venions d’entrer en Espagne, le pays où nous avons nos châteaux, nous parcourions la route entre Irun et Tolosa, lorsqu’à un relai de poste un nom magique pour nous fit vibrer jusqu’au fond de notre cœur notre fibre romantique. Le bourg où l’on s’arrêtait s’appelait « Hernani ». C’était une surprise pareille à celle qu’on éprouverait en entendant donner à un lieu réel un nom des pièces de Shakspeare. Le bourg était d’ailleurs bien digne du titre célèbre qu’il portait. Ses maisons