Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/149

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cette qualité étrange de créer des donjons, des vieilles rues, des châteaux, des églises en ruine ; d’un style insolite, d’une architecture inconnue, pleine d’amour et de mystère, dont l’aspect vous oppresse comme un cauchemar.

De ce petit salon on entre dans la chambre à coucher du poëte, qui ressemble un peu à la chambre de la Tisbé. Un lit à colonnes salomoniques et à dossiers dorés en occupe le fond avec ses amples pentes de vieux damas des Indes. Les murs sont tapissés de tentures de Chine, et le plafond est orné d’une peinture allégorique de Châtillon, représentant une femme couchée, souriant à un personnage vêtu comme Pétrarque et qui étudie dans un grand livre. Dans la cheminée, faite de morceaux raccordés de bas-reliefs gothiques, se prélassent deux mornes chenets de fer, enlevés sans doute à Pâtre colossal de quelque burg du Rhin, et sur lesquels Job et Magnus ont peut-être [appuyé leurs pieds chaussés d’acier.

Tout un monde de chimères, de potiches, de sculptures, d’ivoire, jonche les étagères, reflétés par des miroirs de Venise au cadre de cuivre estampé ; un beau banc de bois de chêne, du travail gothique le plus délicatement fenestré et fleuri, y sort de canapé. — Dans un coin se cache la petite table sur laquelle ont été écrits tant de beaux vers, de drames pathétiques et de pages impérissables. Une boussole ancienne, des cachets, un encrier, un coffret de fer précieusement ouvragé, chargent le vieux tapis