Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter et que combattit longtemps une hygiène savante résolument soutenue ; mais bientôt il se laissait aller et développait dans les meilleurs termes les idées les plus ingénieuses et, chose étonnante, les plus sages. Jamais œuvre ne ressembla moins à l’idéal de l’artiste qui l’exécuta que celui d’Eugène Delacroix. On aurait pu croire que c’était chez lui un jeu d’esprit d’avancer des théories contraires à sa pratique, mais tout nous fait croire qu’il était sincère en émettant ces idées, si étranges dans sa bouche. Seulement, quand il était devant sa toile, sa palette au pouce, au milieu d’un atelier où ne pénétrait personne et où régnait une température de serre pour les plantes tropicales, il oubliait ses classiques opinions de la veille, et, son fougueux tempérament de peintre reprenant le dessus, il ébauchait une de ces pages enfiévrées de passion qui excitaient dans les camps rivaux des huées et des dithyrambes.

Un moment on crut qu’Eugène Devéria, dont la Naissance de Henri IV fut si remarquée pour son éclatante couleur, et qu’on appelait déjà le Paul Véronèse français, allait être le peintre romantique continuant dans son art le mouvement littéraire ; mais ce brillant début n’eut pas de suite. Une influence mystérieuse détourna ce beau talent de sa route, et Delacroix resta le représentant de la peinture nouvelle.

En ce temps-là, la peinture et la poésie fraternisaient. Les artistes lisaient les poëtes et les poëtes