Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces un peu bridées sur des dents magnifiques et ombrées de légères rnouslaches, son menton volontaire et puissant accusé par un méplat robuste, lui composaient une physionomie d’une beauté farouche, étrange, exotique, presque inquiétante : on eût dit un maharajah de l’Inde, ayant reçu à Calcutta une parfaite éducation de gentleman et venant se promener en habit européen à travers la civilisation parisienne. Cette tête nerveuse, expressive, mobile, pétillait d’esprit, de génie et de passion. On trouvait que Delacroix ressemblait à lord Byron, et pour faire mieux sentir cette ressemblance, Devéria, dans une même médaille, dessinait leurs profils accolés. Les succès refusés au peintre, l’homme du monde (Delacroix le fut toujours) les obtenait sans conteste. Personne n’était plus séduisant que lui lorsqu’il voulait s’en donner la peine. Il savait adoucir le caractère féroce de son masque par un sourire plein d’urbanité. Il était moelleux, velouté, câlin comme un de ces tigres dont il excelle à rendre la grâce souple et formidable, et, dans les salons, tout le monde disait : « Quel dommage qu’un homme si charmant fasse de semblable peinture ! »

Dans cette époque tout agitée de passions littéraires, de systèmes d’art et de nouveautés esthétiques, on parlait beaucoup, et Delacroix en fut un des causeurs les plus goûtés. Il se promettait bien de garder le silence ou de ne jeter que quelques mots dans la conversation, car dès lors il avait les germes de la maladie de larynx qui finit par l’em-