Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/246

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ration portée à l’excès. Il aimait tant les maîtres qu’il en oubliait sa propre individualité. Il passait de longues heures à les contempler, à les copier, à en parler. Tantôt c’était Rubens, tantôt c’était Véronèse, et puis Titien ; d’autres fois, franchissant les monts, il allait à Velasquez et à Goya. Les œuvres de l’art lui cachaient un peu les œuvres de la nature. Mais quelle finesse, quel tact, quel sentiment, quelle compréhension en face d’un tableau ou d’une pièce de poésie ! comme il en savourait les qualités et quelle joie sincère et lumineuse à la vue d’une belle chose !

On a été un peu injuste envers Boulanger, et s’il a trop admiré, on ne l’a pas admiré assez. C’était pourtant une magnifique peinture que le Triomphe de Pétrarque, — et l’artiste méritait bien quelques-unes des fleurs que les jeunes filles effeuillaient devant le char du poëte. Renaud dans les jardins d’Armide, les Noces de Gamache et les peintures faites pour la salle à manger de Froment-Meurice, étaient pourtant des merveilles de grâce et de couleur.

Un instant Boulanger eut la maladie du style, cette maladie qui prend les peintres à l’âge critique et les fait rougir des audaces de la jeunesse ; mais un voyage en Espagne, où nous eûmes le plaisir de passer quelques jours avec lui, l’avait retrempé et ramené aux saines doctrines romantiques, et, au dernier Salon, la Cour des Miracles et la Fête chez les bohémiens firent voir qu’il était bien toujours le