Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’hui quand le hasard met sous nos yeux ces pages virulentes, début obligatoire de tout Salon en ce temps. La forme était peut-être excessive, mais nous avions raison de défendre la liberté de l’art. Cependant Rousseau, sans se décourager, continuait à étudier la nature ; il allait la surprendre le matin en déshabillé, quand elle croit que personne ne la regarde ; il l’épiait à sa sieste de midi et surtout au crépuscule, au moment qu’elle va s’endormir. Il ne la quittait même pas la nuit et la cherchait aux heures mystérieuses, à travers la demi-transparence des ténèbres. De ces études d’une conscience si scrupuleuse, d’une observation si profonde, il faisait des tableaux pleins de hardiesse, de fougue et d’originalité, ajoutant, comme tout grand artiste, son âme à la nature. Ces tableaux, quelques amis seulement les connaissaient, et ils durent rester longtemps dans l’atelier, humiliés, poussiéreux et retournés contre les murs, comme pour cacher leur affront !

Heureusement il y avait en ce temps-là des jeunes gens doués du sentiment de l’enthousiasme et de l’admiration, qui s’éprenaient d’un talent et s’y dévouaient avec une sorte de fanatisme. Ils ne manquaient aucune occasion de vanter leur dieu, souvent un dieu inconnu, de le défendre, de l’exalter par-dessus tous les autres, d’injurier même un peu ses adversaires, de crier à l’injustice des juges et à la stupidité du siècle. Dans les ateliers, dans les salons, sur le boulevard, où se rencontraient les péripatéticiens de l’esthétique, ils lui recrutaient des