Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/28

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

quatre à quatre poursuivi par nos acolytes qui riaient aux éclats.

Une troisième tentative fut plus heureuse ; nous avions demandé à nos compagnons quelques minutes pour nous remettre, et nous nous étions assis sur une des marches de l’escalier, car nos jambes flageolaient sous nous et refusaient de nous porter, mais voici que la porte s’ouvrit et qu’au milieu d’un flot de lumière, tel que Phébus et Apollon franchissant les portes de l’Aurore, apparut sur l’obscur palier, qui ? Victor Hugo, lui-même dans sa gloire.

Comme Esther devant Assuérus, nous faillîmes nous évanouir. Hugo ne put, comme le satrape vers la belle Juive, étendre vers nous pour nous rassurer, son long sceptre d’or, par la raison qu’il n’avait pas de sceptre d’or, ce qui nous étonna. Il sourit, mais ne parut pas surpris, ayant l’habitude de rencontrer journellement sur son passage de petits poëtes en pâmoison, des rapins rouges comme des coqs ou pâles comme des morts, et même des hommes faits, interdits et balbutiants. Il nous releva de la manière la plus gracieuse et la plus courtoise, car il fut toujours d’une exquise politesse, et renonçant à sa promenade, il rentra avec nous dans son cabinet.

Henri Heine raconte que s’étant proposé de voir le grand Gœthe, il avait longtemps préparé dans sa tête les superbes discours qu’il lui tiendrait, mais qu’arrivé devant lui, il n’avait trouvé rien à lui dire