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Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/285

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d’hui et qui aurait peut-être la chance d’un succès posthume.

Non pas découragé, mais ne pouvant réussir au théâtre qu’en faisant des concessions qui répugnaient à sa nature hautaine, Berlioz se réduisit aux symphonies dramatiques, comme la Damnation de Faust et Roméo et Juliette, qu’il faisait jouer à ses frais sur cette scène idéale qui n’a besoin ni de décors ni de costumes, et où la fantaisie du poëte règne en maîtresse. La Damnation de Faust contient précisément ce qui manque au Faust, d’ailleurs si remarquable, de Gounod : la profondeur sinistre et mystérieuse, l’ombre où scintille vaguement l’étoile du microcosme, l’accablement du savoir humain en face de l’inconnu, l’ironie diabolique de la négation et la fatigue de l’esprit s’élançant vers la matière. Certes le Faust tel que Gœthe le concevait n’a jamais été mieux compris. Il nous est resté de la scène du jardin un souvenir délicieux, et la marche infernale qui galope sur un thème hongrois obtint un immense succès. Que de belles choses, pas assez appréciées, dans Roméo et Juliette : le bal chez Capulet ! la sérénade et le scherzo de la reine Mab, où le compositeur lutte de poésie de légèreté et de grâce avec ce Mercutio si spirituel, que Shakespeare n’a pu le soutenir jusqu’au bout de la pièce et le fait tuer, après quelques scènes étincelantes, par le comte Paris !

Berlioz n’était pas seulement un compositeur de premier ordre, c’était un écrivain plein de sens,