Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/342

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seaux au seuil des chaumières, des compagnons faisant leur tour de France, ou des mères endormant leurs nourrissons.

Ces chansons-là, où l’âme du peuple balbutie ses secrets sentiments dans une langue naïve, incomplète et charmante comme celle de l’enfance, se font toutes seules, sur des vieux thèmes toujours jeunes et aussi anciens que le monde. L’air naît avec les paroles d’un soupir de pipeau, d’une plainte du vent, d’une roulade du rossignol ou d’un trille de l’alouette. Un bouvreuil dans la haie siffle la rime qui manque, et si la rime ne vient pas, on s’en passe ou on la remplace par une vague assonance. Quel poëte de profession n’a parfois jalousé ces couplets d’une grâce si naturelle et si touchante, et ne s’est dit qu’il donnerait volontiers ses plus beaux bouquets composés avec d’éclatantes fleurs de serre, pour une de ces poignées d’herbes des champs mêlées de fleurettes sauvages au parfum agreste !

Le mérite de Pierre Dupont est d’avoir donné cette saine et fraîche impression à un public animé de passions brûlantes. Il a fait apparaître la nature au milieu de l’émeute et reporté la pensée aux calmes horizons. Sa chanson des Bœufs a eu une vogue immense, vogue dont elle était digne, chose rare, car souvent le peuple s’engoue de quelque inepte refrain. Toute la France, vers ce temps-là, a chanté d’une voix plus ou moins juste a les grands bœufs blancs marqués de roux. » C’était à la fois une chanson de paysan et de poète, où un sentiment