Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/360

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mais il fallait bien mentionner cette élégante et noble tragédie, sculptée dans le plus pur marbre pentélique, et que l’auteur appelle modestement « étude, » puisque c’est au théâtre que le poëte s’est produit pour la première fois d’une façon si brillante.

Après un tel triomphe, car l’auteur, rappelé par les cris d’enthousiasme de toute la salle, fut obligé de paraître sur la scène tout tremblant et comme effrayé de son succès, il faut une rare philosophie et un bien pur amour de l’art pour rentrer dans l’ombre studieuse et rimer loin de la foule, comme un poëte inconnu.

Il faut le dire, la Fille d’Eschyle n’était pas la première œuvre du poëte ; il avait lancé, de 1835 à 1840, quelques ballons d’essai que l’œil distrait de la foule avait laissés se perdre dans l’azur ou dans le nuage. On n’arrive guère chez nous à la notoriété soudaine que par le théâtre, et Autran, malgré sa réussite à l’Odéon, était encore plus un poète lyrique qu’un poëte dramatique.

Né au bord de la Méditerranée, il avait eu tout enfant l’œil rempli de cet azur amer, plus pur encore que celui du ciel. Il aimait les vagues venant briser en écume d’argent leurs volutes harmonieuses, qui se succèdent, avec régularité comme de belles rimes aux syllabes sonores, les voiles fuyant à l’horizon, pareilles à des plumes de colombe, les fanaux des pêcheurs illuminant les flots sombres et faisant lutter leurs reflets rouges contre les lueurs