Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/366

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l’auteur de Dante, Edgar Poë a été l’auteur de Baudelaire, et le Corbeau du poëte américain semble parfois croasser son irréparable Never, oh ! never more, dans les vers du poëte parisien ; car, bien qu’il ait voyagé aux Indes pendant sa première jeunesse, Baudelaire appartient à Paris, où s’est passée sa vie presque entière et où il vient de s’éteindre, hélas ! bien jeune encore. Comme Edgar Poë, il croit à la perversité native. Par perversité il faut entendre cet instinct étrange qui nous pousse en dépit de notre raison à des actes absurdes, nuisibles ou dangereux, sans autre motif que : « Cela ne se doit pas, » cette méchanceté gratuite, et cette rébellion secrète qui, au milieu des joies du paradis, fit écouler à la première femme les suggestions du serpent, conseils perfides que l’humanité a trop bien retenus.

Du reste, le poëte n’a aucune indulgence pour les vices, les dépravations et les monstruosités qu’il retrace avec le sang-froid d’un peintre de musée anatomique. Il les renie comme des infractions au rhythme universel ; car, en dépit de ces excentricités, il aime l’ordre et la norme. Impitoyable pour les autres, il se juge non moins sévèrement lui-même ; il dit avec un mâle courage ses erreurs, ses défaillances, ses délires, ses perversités, sans ménager l’hypocrisie du lecteur atteint en secret de vices tout pareils. Le dégoût des misères et des laideurs modernes le jette dans un spleen à faire paraître Young folâtre.