Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/368

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sphinx, avec ses parfums endormeurs et ses caresses de torpille, semble un symbole de la nature ou de la vie primitive, à laquelle retournent les aspirations de l’homme las des complications de la vie civilisée dont il ne pourrait se passer peut-être.

Nous ne pouvons pas analyser en détail dans un cadre nécessairement restreint ce volume d’une bizarrerie si profonde. Chaque poésie est réduite par ce talent concentrateur en une goutte d’essence renfermée dans un flacon de cristal taillé à mille facettes : essence de rose, haschich, opium, vinaigre ou sel anglais qu’il faut boire ou respirer avec précaution, comme toutes les liqueurs d’une exquisité intense.

Nous citerons les Petites Vieilles, fantaisie singulière, où, sous les délabrements de la misère, de l’incurie ou du vice, l’auteur retrouve avec une pitié mélancolique des vestiges de beauté, des restes d’élégance, un certain charme fané et comme une étincelle d’âme. Une des pièces les plus remarquables du volume est intitulée par le poète Rêve parisien : c’est un cauchemar splendide et sombre, digne des Babels à la manière noire de Martynn. Figurez-vous un paysage extra-naturel ou plutôt une perspective magique faite avec du métal, du marbre et de l’eau, et d’où le végétal est banni comme irrégulier. Tout est rigide, poli, miroitant sous un ciel sans lune, sans soleil et sans étoiles. Au milieu d’un silence d’éternité montent, éclairés d’un feu personnel, des palais, des colonnades, des tours, des escaliers, des