Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/369

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châteaux d’eau, d’où tombent comme des rideaux de cristal des cascades pesantes. Des eaux bleues s’encadrent comme l’acier des miroirs antiques dans des quais ou des bassins d’or bruni, ou coulent sous des ponts de pierres précieuses ; le rayon crislallisé enchâsse le liquide, et les dalles de porphyre des terrasses reflètent les objets comme des glaces. Le style de cette pièce a le brillant et l’éclat noir de l’ébène. Nous sommes loin, dans ce court poëme, composé tout exprès d’éléments factices et produisant des effets contraires aux aspects habituels de la nature, des poésies naïvement sentimentales et des petites chansons de mai où l’on célèbre la tendre verdure des feuilles, le gazouillement des oiseaux et les sourires du soleil.

Baudelaire a pensé qu’il venait dans l’art une époque où tous les grands sentiments généraux et ce qu’on pourrait appeler les sublimes lieux communs de l’humanité avaient été précédemment exprimés aussi bien que possible par des poètes devenus classiques. Selon lui, il était puéril de chercher à paraître simple dans une civilisation compliquée et de faire semblant d’ignorer ce qu’on savait parfaitement bien ; il pensait qu’à l’art naturel des beaux siècles devait succéder un art souple, complexe, à la fois objectif et subjectif, investigateur, curieux, puisant des nomenclatures dans tous les dictionnaires, demandant des couleurs à toutes les palettes, des harmonies à toutes les lyres, empruntant à la science ses secrets, à la critique ses ana-