Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le fait est que Jules Vabre aurait pu étonner même des hommes barbus, si l’on eût porté de la barbe en ce temps-là. Car c’est une des plus originales figures dont nous ayons gardé souvenir. Il ne portait pas son Romantisme arboré comme un panache et n’affectait pas de ces airs truculents si fort à la mode dans l’école. Ses cheveux blonds, déjà un peu éclaircis au sommet du front, ne s’allongeaient pas démesurément, et sa moustache ne tombait pas jusque sur sa poitrine comme celle des anciens guerriers bretons, mais ses yeux gris pétillaient de malice, et dans les coins de sa bouche, autour des ailes de son nez, à l’angle externe de ses yeux, se formaient et s’effaçaient des milliers de petites rides pleines d’ironie. Souvent il riait d’un rire silencieux, pareil à celui de Chingachgook, le Mohican, aux comédies qui se jouaient dans sa cervelle, et, quand il parlait, on croyait voir apparaître une procession de figures fatales, faisant, des grimaces et des culbutes, s’esclaffant de rire, vous tirant la langue en disparaissant subitement comme des ombres chinoises. En causant avec lui, on avait la sensation de feuilleter les Songes drôlatiques de Rabelais. C’était absolument fou et profondément vrai, et ces fantoches extravagants vivaient de la Vie la plus intense, tantôt comique, tantôt douloureuse.

Il était romantique, mais Rabelaisien aussi, et dans le mélange prescrit du grotesque et du sérieux il eût volontiers forcé la dose du bouffon ; de l’air