Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/55

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des soupiraux de la caverne — pour eux c’était une véritable caverne dans l’île de Juan-Fernandez et non une cave rue Fontaine-au-Roi, — nous descendîmes quelques marches et nous aperçûmes Petrus pâle et superbe, plus fier qu’un Richomme de Castille, assis près d’un feu de bouts de planche dont Vabre agenouillé, le corps porté en avant sur les mains, les joues gonflées comme l’Éole classique, avivait la flamme avec son souffle, ce qui produisait cette anhélation de lumière qu’on apercevait de dehors.

Le groupe ainsi éclairé en dessous, en projetant de fortes ombres, déformées bizarrement par la courbure de la voûte, eût fourni à Rembrandt, ou même à Norblin si Rembrandt eût été trop occupé en ce moment-là, le sujet d’une eau-forte pleine de mystère et d’effet.

Sous la cendre de ce feu cuisait le souper de deux amis d’une sobriété plus que érémitique, — des pommes de terre ! — Mais le dimanche nous y mettons du sel, dit Jules Vabre avec un air de sensualité orgueilleuse, car enfin du sel c’était du luxe comme la tasse de bois de Diogène : les palais naïfs n’ont pas besoin de cet excitant, et l’on peut boire dans le creux de sa main.

L’eau de la pompe arrosait ce menu d’une simplicité primitive, et les deux camarades avaient le caractère ainsi fait qu’ils devaient éprouver une certaine joie à réduire leur vie au strict indispensable. Avec si peu de besoins, il est facile de se soustraire