Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/59

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tre « le Globe », devant lequel le jeune William avait gardé les chevaux.

Lui-même avait changé d’aspect. Sous l’acier anglais de Sheffield sa moustache blonde était tombée, et il avait le menton aussi glabre qu’aucun des bourgeois méticuleux dont il se moquait si fort jadis. La métamorphose était complète ; nous avions devant les yeux un pur sujet britannique.

En nous voyant, ses prunelles grises brillèrent, et il nous donna un shakehand si vigoureux que si notre bras n’eût pas été solidement attaché à notre épaule, il lui fût resté à la main, et il se mit à nous parler avec un accent anglais si fort, que nous comprenions à peine ce qu’il disait. Il avait presque oublié sa langue maternelle.

— Eh bien ! mon cher Jules Vabre, pour traduire Shakspeare, il ne te reste plus maintenant qu’à apprendre le français.

— Je vais m’y mettre, nous répondit-il, plus frappé de l’observation que de la plaisanterie.

Depuis longtemps déjà, le compagnon miraculeux rêvait son monument littéraire plus durable que l’airain et voulait donner à l’école romantique un trésor qui lui manquait : une traduction de Shakspeare d’une soumission absolue au texte, fidèle à l’idée comme au mot, reproduisant le tour, l’allure et le mouvement de la phrase, faisant sentir le mélange du vers blanc, du vers rimé et de la prose, ne craignant ni les subtilités euphémistes ni les rudesses barbares, et penchant dans l’intimité du sens an-