Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/67

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des septentrionaux, était parfaitement justifié ; il nous fit un macaroni au sughillo avec des tomates a se lécher les doigts jusqu’aux coudes, un macaroni sublime et que lui seul était capable de recommencer.

Le premier cénacle avait eu la mère Saguet, le second cénacle eut Graziano, et nous ne fûmes pas médiocrement fiers de notre Napolitain, qui faisait la cuisine à de pauvres ouvriers italiens, heureux de retrouver dans cette banlieue les pâtes et le fromage de leur patrie. Non-seulement nous faisions de la couleur locale dans nos vues et dans nos tableaux, mais nous en mangions. Que pouvait-on exiger de plus, et combien le macaroni de Graziano — un nom qui eût pu figurer parmi les convives de la princesse Négroni, — laissait loin derrière lui les lapins sautés de la mère Saguet !

Il nous initia successivement au stufato, aux tagliarini, aux gnocchi ; une pluie dorée de parmesan semblait descendre du ciel dans les assiettes, comme la pluie d’or de Jupiter dans le sein de Danaé ; ces orgies insensées qui nous faisaient tourner de temps en temps la tête vers le mur avec inquiétude, de peur d’y voir se dessiner des écritures phosphoriques, étaient pompeusement arrosées de petit bleu où les vins de Suresnes et d’Argenteuil rebaptisés figuraient parmi les grands crus. Mais en revanche nous étions couronnés de roses, et l’on eut dit que, comme dans ces dîners de cardinaux à la vigne du Pape, chaque convive avait son cercueil au bureau des cannes.