Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nous avons possédé autrefois un exemplaire de Feu et Flamme avec dédicace autographe de l’auteur. Nous ne l’avons plus. Avez-vous remarqué que les livres curieux et devenus rares ont des jambes comme les petits bateaux sur lesquels l’enfant consulte son père, car s’ils n’avaient pas de jambes, ils ne marcheraient pas, et resteraient tranquillement sur le rayon de bibliothèque où on les a précieusement serrés entre deux livres de mœurs honnêtes et de reliure convenable.

Lorsque les mélanges tirés d’une petite bibliothèque romantique de M. Ch. Asselineau nous tombent sous la main, de quels amers regrets ne sommes-nous pas saisi ? Tous ces livres, devenus si rares, si introuvables, si précieux, qui atteignent dans les ventes à de telles enchères, nous les aurions pour rien, sans nous donner la moindre peine, avec l’eau-forte, le bois, le portrait, la lettre ornée, tout ce qui fait heureux le bibliophile dans cette chasse innocente et lui procure de si douces émotions. Nous les posséderions, ces éditions princeps, celles qui font foi, que les auteurs ont revues ! Une à une elles seraient venues se ranger derrière la vitre transparente, mais sous clefs maintenant, puisqu’il y a d’honnêtes gens voleurs de livres. Malheureusement, il est trop tard ; la plupart des amis sont morts, les éditions sont épuisées depuis longtemps, et nous voilà écrivant cette Histoire du Romantisme dont nous avons été une petite part, sans un de ces livres, qui portaient pourtant comme sauvegarde le nom sacré des maîtres.