Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/86

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que n’avait eu lieu ; il fallait remonter jusqu’à l’époque où, faute de l’eau des mers, on buvait, au Moulin-Rouge, du petit bleu dans le crâne des morts ; mais bien des années s’étaient écoulées. Il avait neigé là-haut, sur les monts ; la poivrière et la salière s’étaient mêlées sur les barbes ; des nez avaient rougi ; des joues unies hier, s’étaient sillonnées de rides, et, à travers quelques-uns des convives que nous n’avions pas vus depuis longtemps, nous apercevions la silhouette de leur jeunesse. Nous regardions les autres avec une certaine inquiétude, en nous demandant : « Eh quoi ! est-ce là l’effet que nous leur produisons nous-mêmes ? Leur paraissons-nous aussi laids, aussi vieux, aussi moroses qu’ils nous le semblent ? Voilà donc ce qui reste de la brillante escadrille d’Hernani, qui savait si bien harceler le taureau et prendre le public par les cornes !

Oh ! comme ils ont l’air fatigué et ennuyé de la vie et peu disposés à sauter par-dessus la barrière. Et la fête commençait tristement comme toutes les fêtes. Ces vaillants jadis si farouches n’auraient même pas déchiré en pièces un académicien ou un membre de l’Institut. Enfin la glace se rompit. Le vin remit un peu de sang au cœur. Les souvenirs d’autrefois reparurent purs, gais et charmants ; on reparla de ces belles misères où l’on se nourrissait de gloire et d’amour — fit-on jamais meilleure chère ? On mêlait à la conversation comme des fidèles du même culte les vers sus de tous comme les répon-