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LA FLEUR-SERPENT

puisqu’elle me déplaisait, et j’y revins pour la détourner de cette idée dangereuse. La première fois que je revis l’habitation, j’étais seul, je devais annoncer et préparer notre installation.

« Quelque chose nous attire toujours vers ce que nous devrions éviter. Je voulus retourner à ce coin du parc que j’aurais dû fuir, à la terrasse du bord de l’eau. J’allais donc, lentement, la tête basse, repassant malgré moi par toutes les angoisses de la nuit criminelle, cherchant la place de cette tombe furtive, à jamais inconnue. Tout à coup je poussai un cri d’épouvante : à cet endroit même que moi je connaissais bien, à cette place nue, choisie exprès loin de toute végétation, de tout massif, où la bêche du jardinier pût venir fouiller ; à travers les cailloux blancs qui sablaient le terrain, je vis se dresser ce buisson terrible, ce hérissement gorgonéen, ces fleurs sanglantes aux dards menaçants comme le fouet des Érinyes ! Qu’est-ce que c’était que cette épouvantable éclosion ? Tout cela me semblait hurler, se tordre, dénoncer ! Comment cette plante avait-elle poussé sur ce mort ? Je me précipitai pour l’arracher, elle était inébranlable, et je m’ensanglantais les doigts