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LA FLEUR-SERPENT

aux épines. J’allais revenir à la charge lorsque je vis arriver un jardinier. Il vint à moi rapidement.

« — Justement je voulais demander à Monsieur, dit-il : je n’osais pas déterrer sans ordre cette drôle de plante venue là on ne sait comment et qui vous a un air diabolique.

« — Déterrer ? m’écriai-je, déterrer ? qu’est-ce que vous dites ?

« Et je me sentis blêmir ; mais je compris que je me perdais, et je sus retrouver mon sang-froid.

« — Gardez-vous bien de l’arracher, dis-je, cette plante est très précieuse et j’y tiens beaucoup.

« — On pourrait la changer de place ?

« — Non, non, elle mourrait sûrement, je vous défends de la toucher et vous m’en répondez.

« Je crus pouvoir oublier cette hideuse plante que la peur m’obligeait à conserver ; mais elle avait blessé mon esprit par tous ces dards vénéneux, elle s’y était logée à jamais. C’était une hydre vengeresse qui me dévorait, et maintenant mon bonheur était doublé d’épouvante. J’évitai le côté du parc où croissait ce remords épanoui, mais je le sentais croître, devenir buisson, taillis, forêt : je voyais ses gestes de menaces, je croyais