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TROP TARD

Je me laissai emmener par ma mère dans son château de Touraine. N’avais-je pas besoin de calme et de solitude pour pleurer ma bien-aimée imaginaire et mon amour introuvable ?

Je n’avais pas revu les Trembles depuis que j’étais homme. Cette propriété, où s’était passée mon enfance, était située près de Loches, dans un pays superbe. C’était une grande maison au milieu d’un grand parc qui dégringolait vers une vallée luxuriante. À chaque angle de l’habitation s’arrondissait une tourelle blanche à toit pointu qui donnait un air tout à fait féodal à ce soi-disant château. L’intérieur était vaste et très confortable, il y avait eu là autrefois grandes réceptions, fêtes, chasses dans les bois. Depuis son veuvage, ma mère avait rompu avec le monde.

Dans cette retraite, ma folie me reprit de plus belle ; j’y apportais une morne résignation qui, chose étrange, s’évanouit aussitôt que j’eus franchi le seuil. Un de ces sentiments qui s’imposaient souvent à mon esprit enfiévré, et que je prenais pour une sorte de seconde vue, me persuada que quelque chose de celle que je désirais si ardemment flottait dans cette maison. La vision m’apparaissait là plus distincte