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TROP TARD

mère était au comble de l’inquiétude, elle s’efforça en vain de m’arracher à cette torpeur, de m’entraîner au dehors.

Les médecins qu’elle appela reconnurent un commencement de consomption.

Quoi ? allais-je donc mourir vraiment à vingt-deux ans d’une peine créée par mon cerveau, pour une femme qui très probablement n’existait pas ?

J’étais bien décidément incurable moralement, physiquement aussi peut-être ! Je ne fis rien pour réagir contre cet état morbide, je m’y laissai aller résigné, j’attendis la mort dans cette chambre que je m’obstinais à considérer comme la sienne.

Un jour, j’avais été chercher dans la bibliothèque un roman de Cooper, et je le lisais vaguement, étendu sur une chaise longue. Tout à coup, en tournant une page, j’eus un éblouissement terrible. Je venais de voir, entre les feuillets, comme un signet oublié, une photographie, un portrait de femme… le sien !

Mon cœur battait à se rompre, mes oreilles bourdonnaient, je n’y voyais plus ! Cette fois, je n’étais pas fou, ce n’était pas un rêve, une chimère, c’était elle : elle existait telle que je l’avais conçue !

Je m’abîmai, avec une extase indicible, dans la