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DES ROSEAUX EN FLEUR.

veillaient le fleuve, car aucune barque, venant de la ville, ne pouvait aborder à l’auberge sans passer devant eux. Boïtoro avait allumé une petite pipe, dont le fourneau d’argent était moins grand qu’un dé à coudre. Mïodjin, accoudé à la balustrade, s’efforçait de cacher son trouble et sa tristesse. Pourtant son compagnon remarqua sa pâleur.

— « Qu’as-tu donc, ami ? dit-il. Es-tu malade ?

— N’es-tu pas comme moi ? dit Mïodjin d’une voix un peu tremblante. Tout mon sang afflue à mon cœur et une vive angoisse m’étreint à mesure qu’approche l’instant si longuement attendu.

— Certes, je suis ému, dit Boïtoro ; mais mon émotion est joyeuse, mon sang court plus vite dans mes veines, je me sens léger et heureux, tandis que tu sembles souffrir.

— Mille inquiétudes m’assiègent, reprit Mïodjin. Nous aimons, mais sommes-nous aimés ? Celles que nous attendons avec tant de confiance n’ont-elles pas depuis longtemps disposé de leur cœur ? J’ai de tristes pressentiments : tout à l’heure j’ai cru voir un renard grimacer derrière le tronc d’un cèdre.

— Trêve aux funestes présages ! s’écrie Boïtoro. Voici venir la barque tant désirée. »