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ISOLINE

Elle s’assit en face de Gilbert, reprit son tricot et demeura un instant silencieuse.

— « Voyez-vous, je n’aime pas à parler de cela, ce ne sont pas mes affaires. J’ai toujours eu là-dessus la bouche cousue. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’Isoline n’est pas heureuse. Depuis qu’elle est sortie de mes bras, elle vit seule dans ce grand château désert.

— Ses parents ?

— Elle n’a que son père ; il vient seulement huit jours tous les ans et n’adresse pas la parole à sa fille.

— Serait-il fou ? »

Marie secoua la tête.

— « Non, mais c’est quelque chose comme cela. Pauvre enfant ! vous l’avez vue presque gaie tout à l’heure, c’est rare, elle a des accès de désespoir affreux, des colères où elle est comme une Furie. Elle veut savoir les raisons qui la condamnent à vivre ainsi en dehors de l’humanité ; — elle ne considère pas ceux d’ici comme en faisant partie. — Jamais elle n’a parlé à quelqu’un de son rang ; hors nous et ses fermiers, nul ne connaît le son de sa voix ; aussi j’ai été saisie lorsqu’elle vous a tendu