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ISOLINE

nappe blanche se déploya, deux chaises de paille remplacèrent les bancs ; le cidre frais dans des pots de faïence, le beurre salé, le gros pain rustique, les lourdes assiettes, vinrent se ranger avec des petits chocs pressés.

Isoline, appuyée au chambranle de la fenêtre, regardait obstinément dehors. Elle paraissait souffrir dans ce milieu étranger ; sa sensibilité exagérée lui rendait douloureux le voisinage d’inconnus qui lui semblaient d’une race très inférieure et pour lesquels elle éprouvait une répugnance profonde.

— « Êtes-vous fâchée ? lui dit Gilbert en s’approchant d’elle, méprisez-vous donc l’ami que vous avez choisi au point de ne pas vouloir partager son repas ? »

La bouderie n’était pas très sérieuse. Cette chambre solitaire où n’arrivait aucun bruit n’avait rien que de rassurant. La jeune fille se retourna vers le couvert mis et une pensée qui lui vint la fit sourire.

— « Maître Mathurin Ferron, un de mes geôliers, sert en ce moment le déjeuner à mon fantôme, dit-elle. Il s’imagine que je jeûne : eh bien, pour une fois du moins, il se trompera. »