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L’INDE.

Puits de l’Inde, tombeaux, monuments constellés !

Ah ! combien souvent, lorsque nos pieds foulaient lentement le ruban de bitume qui conduit de l’Obélisque à l’arc de l’Étoile, notre pensée se promenait dans les jungles, où le tigre, avec une pose de sphinx, lèche sa patte de velours de sa langue âpre comme une lime, et qui, même lorsqu’elle lèche, fait venir le sang ; sous les mangliers dont les branches pleureuses se replantent et se multiplient en innombrables arcades, en sorte qu’un arbre est bientôt un bois ; à travers les bambous que l’éléphant fait ployer en marchant comme de l’herbe sèche ; à l’ombre des monstrueux baobabs âgés de six mille ans comme le monde, et qui ont peut-être vu Adam sous leurs jeunes pousses, quand il avait pour maîtresse la dive Lilith et qu’Ève n’était pas née encore ; au milieu des colossales forêts vierges où s’enchevêtrent les arbres, les lianes, les herbes, dans un inextricable désordre de frondaison et de germination ; masses touffues, emmêlées,