Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/100

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manque pas de petits faits que l’orgueil de ceux qui y ont participé tend à croire énorme, et dont toute la reproduction eût été accueillie avec complaisance ; mais tout en étant de son temps, l’artiste doit éviter l’actualité. Raphaël peignait dans les chambres du Vatican l’Ecole d’Athènes, au lieu de glorifier la victoire de Montepulciano, ou tout autre exploit papal de même force, très-illustre et très-insignifiant. L’occasion était belle pour Chenavard de mettre là des tambours, des canons, des troupiers de Sambre-et-Meuse, des grognards de l’empire, mais l’artiste dégage toujours l’idée des faits, et préfère la cause au résultat. Sa large synthèse embrasse tout sans l’alourdir par des détails.

Ce gigantesque travail, l’artiste, contrairement aux opinions reçues aujourd’hui, que les œuvres d’art cherchent l’originalité pour principal mérite, a déclaré ne pas vouloir l’exécuter lui-même : – il faudrait deux cents ans à un seul homme pour revêtir cet énorme édifice de son vêtement colorié. Mais ce n’est pas là la raison du peintre. Il trouve que les grandes œuvres doivent être impersonnelles, et paraître plutôt le produit d’une mystérieuse agrégation que l’expression d’une nature particulière. Il est impossible d’assigner leur part de travail aux laborieux ouvriers qui ont élevé et ciselé les cathédrales ; excepté quelques noms conservés dans la poussière des chartes, les auteurs de ces chefs-d’œuvre sont inconnus. Chenavard veut que ces tableaux se déroulent sur les murs et sur les frises sans qu’on pense à la main qui les a tracés et fixés.

Tout le travail paraîtra sortir de la même main et de la même palette comme en un seul jour, et pour ainsi dire