Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/28

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soi-même, le sacrifice complet de l’individualisme. Pour symboliser la fraternité, l’artiste a entouré son Christ d’enfants et de jeunes mères : l’une d’elles cueille des fruits à un arbre pour les donner à ses chers petits qui lui tendent leurs bras potelés ; une autre presse ses deux fils qui s’embrassent et traduisent ainsi en action le sujet du sermon sur la montagne.

A gauche, des guerriers à cheval laissent tomber leurs armes et se prennent amicalement la main. Un marchand donne son argent à des pauvres qu’il étreint d’une accolade fraternelle, et répand à terre, en signe de mépris des richesses, des pièces d’or qu’un autre marchand vêtu d’un costume tout moderne ramasse avec avidité. Le sermon lui a évidemment fait peu d’effet.

A droite, est un homme isolé, le dos appuyé contre un arbre, profondément recueilli et qui verse d’abondantes larmes ; il porte un costume d’Arménien : c’est Jean-Jacques Rousseau que les paroles du Christ émeuvent et transportent. Derrière lui coule un ruisseau où s’abreuvent des moutons. Le berger qui les conduit porte lui-même une petite brebis malade ; il se retourne en marchant et regarde Jésus. Le peintre a rappelé habilement, par ces figures d’un si heureux effet, les paraboles familières de l’Evangile : les petits enfants, les mères, les centurions, les sources, les brebis et les bons pasteurs ; mais ce qui fait l’originalité de cette immense et magnifique composition, c’est que le Christ y paraît entouré d’utopistes ? En effet, qu’est-ce qu’un utopiste ? Un homme qui rêve une société plus parfaite, un avenir plus heureux pour ses frères, et cherche à faire régner sur la terre le bonheur qu’annonce la bonne nouvelle, c'est-à-dire, la Liberté, l’Egalité et la