Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/37

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et d’argent, les statues d’ivoire, les étoffes précieuses, les manuscrits coloriés, les horloges, emblèmes d’une civilisation supérieure et de l’importation des arts et des connaissances de l’Orient usé et raffiné dans l’Europe encore neuve et barbare.

Ainsi, dans chaque bras de la croix, presque face à face pour ainsi dire, les évolutions de l’histoire amènent, par une symétrie presque fatale, quatre prises ou sacs de villes capitales d’empires puissants : la ruine de Troie, la ruine d’Athènes, la ruine de Carthage, la ruine de Constantinople. La prise de Rome par Attila n’a pas la même signification historique, puisqu’au lieu de l’unité temporelle elle conquiert l’unité spirituelle. Le pape moderne n’est pas moins puissant que le César antique : l’un règne sur les âmes, l’autre ne régnait que sur les corps ; le César n’avait que la terre, le pape a le ciel. Rome, malgré les déluges des Huns, des Hérules, des Goths et des Vandales, est donc toujours restée la métropole du monde et la conservatrice de cette idée profondément humanitaire de la domination universelle.

La chute de l’empire d’Orient a fait refluer sur l’Italie la civilisation du Bas-Empire ; Lascaris et les savants grecs y apportent les belles traditions de l’art et le grand goût helléniques : aux discordes farouches, aux guerres de ville à ville succède une ère d’art et de poésie. Dans une belle et riante campagne, sur les bords de l’Arno ou du Tibre, le peintre a placé les poëtes italiens qui caractérisent chacun une espèce d’amour. Dante, incliné sur le corps de Béatrix morte, représente l’amour douloureux qui se nourrit de regrets et n’a d’espérance que pour l’autre vie, l’amour abstrait, idéal, théologique