que les peuples se visitent et se connaissent ; et, quoique cela puisse paraître une assertion paradoxale dans les temps barbares, le lieu où l’humanité fraternise, c’est le champ de bataille : le grand fait de la guerre brise les séparations, change les milieux, amène la fusion. Un chrétien et un musulman qui se sont donné des coups de lance ou de sabre, sont plus près de s’apprécier et de s’aimer que si le premier était resté à genoux dans sa cathédrale, et l’autre accroupi dans sa mosquée. Les hommes s’ignorent profondément les uns les autres, et il faut que de temps en temps, soit par un motif de conquête, soit par un motif pieux, il s’établisse des courants rapides dans la stagnation humaine. Le flux oriental qui avait envahi l’Occident nécessitait, par un de ces équilibres auxquels sont soumis l’Océan et l’humanité, un reflux occidental sur l’Orient.
Cette nécessité du développement humanitaire s’accomplit ici. Les croisés, vainqueurs, entrent dans Constantinople : les lourds chevaux caparaçonnés de fer, les Roussins, comme on disait alors, avec des chanfreins aux pointes d’acier, leur selles bardées de plaques sur lesquelles se tiennent debout, dans une attitude raide et contrainte, les chevaliers vêtus de mailles, coiffés de casques carrés, ayant au flanc la targe triangulaire, font sonner le pont-levis abaissé, et s’engouffrent sous la voûte qui semble, grâces aux dents de la herse levée, une gueule d’orque ou de monstre infernal. La croix d’argent de France, la croix de gueules d’Espagne, la croix d’azur d’Italie, la croix d’or d’Angleterre, la croix de sinople de Suède, symbolisent la réunion de tous les peuples chrétiens. Dans la seconde partie de la composition, nous assistons Au sac de la ville : les croisés emportent la vaisselle d’or