Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/40

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sibyllines, pénétrera jusqu’aux lieux les plus inaccessibles. Jadis l’idée voltigeait comme un oiseau sur les bouches des hommes ; vain son, écho fugitif que plus tard le stylet ou le calamus gravaient lentement dans la cire ou sur le papyrus, et que de rares copies transmettaient à un petit nombre d’initiés. Maintenant l’on cause d’un pôle à l’autre ; les idées s’échangent avec la rapidité de l’éclair ; tous peuvent savoir tout ; le verbe tiré par le typographe à des nombres prodigieux pénètre profondément les masses, atteint les multitudes avec simultanéité. Aucun progrès ne sera désormais perdu.

A peine l’imprimerie est-elle inventée, que l’esprit d’examen se développe. Le doute succède à la foi. La raison décline l’autorité. Luther, dans la chaire de l’église de Wittemberg, déchire les bulles du pape et commence la croisade moderne contre Rome. Molière, comédien philosophe, poursuit l’œuvre du moine défroqué. Tartuffe proteste contre l’esprit ultramontain au nom de la raison humaine, de l’honnêteté et du libre arbitre. Nous voyons le grand poëte, ami de Louis XIV, assis dans le parc de Versailles et lisant sa comédie de l’Imposteur à ses amis Corneille, Racine, La Fontaine, qui l’écoutent avec une attention admirative et sereine, comme des génies recevant une communication d’un des leurs. Pendant la lecture le roi passe accompagné de sa suite étincelante, de Colbert, de Louvois, de Sévigné, de La Vallière. Le roi sourit au poëte qui se détourne avec respect. Ces deux majestés se saluent et caractérisent le grand siècle par leur rencontre dans ce lieu splendide et magnifique.

A Molière succède Voltaire. Le patriarche de Ferney, dans la robe de chambre dont l’a drapé Houdon, ayant