Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/63

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le conciliateur, qui le premier se convertit au christianisme, exemple rare d’un dieu en reconnaissant un autre de religion différente. Sur le bord de la route, Loke, à moitié englouti dans une caverne, fait d’incroyables efforts pour en sortir, aidé par sa louve ; Fenris et l’essaim ailé des Walkyries verse aux dieux et aux guerriers l’hydromel écumant dans des cormes d’aurochs ou des crânes d’ennemis tués.

Le paysage qu’éclaire une vague aurore boréale frissonne sous des nuages de neige rougis par des taches de sang et des reflets de villages incendiés ; quelques rares sapins chargés de givre se dressent çà et là. Le misérable pont fait de poutres et de planches tremble sous le poids du chariot divin ; les cavaliers traversent le fleuve sur la glace et remontent péniblement sur l’autre rive ; quelques-uns même restent à demi enfoncés dans les glaçons qui se rompent. Ces divers accidents, ingénieusement amenés, rompent à propos la monotonie de cette composition forcément horizontale, en varient les plans et permettent, par des changements de niveau, de faire pyramider les groupes.

Le chœur des migrations germaniques coule comme un torrent : l’ordre processionnel est rompu. Des multitudes aux accoutrements étranges, aux physionomies farouches, se précipitent à pied, à cheval, entassés sur des chariots de guerre traînés par de grands bœufs, pêle-mêle avec leur butin, leurs femmes, leurs enfants, brandissant des armes inconnues, et poussant de leurs vagues irrésistibles, comme une marée montante humaine, ceux qui croient les conduire. Dans cette mêlée nous retrouvons les dieux de notre vieille Gaule, Teutatès, Nilhom l’hercule, Radegast