Page:Gautier - L’art moderne, Lévy, 1856.djvu/80

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le Corse ferme une civilisation, l’Américain en ouvre une autre.

Coëthe [sic], dans son second Faust, suppose que les choses qui se sont passées autrefois se passent encore dans quelque coin de l’univers. Le fait est, selon lui, le point de départ d’une foule de cercles excentriques qui vont agrandissant leurs orbes dans l’éternité et l’infini : dès qu’une action est tombée dans le temps, comme une pierre dans un lac sans bornes, l’ébranlement causé par elle ne s’éteint jamais, et se propage en ondulations plus ou moins sensibles jusqu’aux limites des espaces. Ainsi, dans son étrange poëme, la guerre de Troie étend ses rayonnements jusqu’à l’époque chevaleresque ; la belle Hélène monte dans le donjon en poivrière du moyen âge. Lincéus, le gardien antique, veille du haut de la tourelle, et les jeunes Troyens se penchent aux créneaux d’une muraille à moucharabys. Euphorion, l’enfant mystérieux de la Tyndaride et de Faust, sautille entre le ciel et la terre, dans la prairie émaillée de pervenches.

Ce qui fait le passé, le présent ne peut-il le produire, lui aussi, et prolonger ses vibrations dans les siècles qui ne sont pas encore ? les choses actuelles sont peut-être douées de la propriété d’émettrent des spectres et de les envoyer vers l’inconnu ; le présent est la matrice ou le passé procrée l’avenir, et il doit exciter dans les régions impalpables, sous l’obscurité des futurations, une ébauche invisible de ce qui sera ; les éléments de l’avenir, les combinaisons du hasard, les accidents de l’histoire, sont déjà en préparation sur un fourneau mystérieux, dans les profondeurs impénétrables de l’Hadès ; la lueur du jour qui nous éclaire jette son reflet sur les temps qui vont se lever.