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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/16

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xvj
INTRODUCTION

repoussant d’une main la grande invasion germanique, et de l’autre main la grande invasion musulmane. Il leur crie : « Halte ! » et ces deux torrents font mieux que s’arrêter : ils reculent. Le monde moderne peut enfin commencer, et le Christianisme remplir plus librement son rôle social, malgré tant d’obstacles et au milieu de tant de ténèbres. De ses lèvres aimantes, Charles baise la Croix qui a sauvé le monde ; sur son cœur il étreint la Papauté comme une mère dont il veut pour longtemps assurer la vie désormais libre, honorée, glorieuse. Toute son œuvre est là, et voici bien les deux grandes choses qu’il a faites : il a clos l’ère des invasions ; il a rendu la Vérité indépendante. C’est en vain qu’on a voulu comparer à César, à Napoléon, à d’autres génies, ce protecteur très-intelligent de l’Église romaine, ce fondateur très-puissant du grand Empire catholique. En vérité, ces comparaisons lui sont injurieuses, et, comme M. de Montalembert nous l’écrivait il y a deux ans : « Il ne faut point surtout comparer entre eux Charlemagne et Napoléon : Charlemagne, le plus honnête de tous les grands hommes, et Napoléon, celui de tous qui a le plus méprisé la conscience humaine ! »

Eh bien ! c’est dans l’histoire de Charles, de ce géant, que notre Épopée va trouver ce fait central dont nous avons déjà parlé et qui lui est rigoureusement nécessaire.

Un jour, — c’était en l’année 777, et Charles n’avait que trente-cinq ans, — il reçut à Paderborn une visite étrange : deux émirs d’Espagne se présentèrent devant lui et se donnèrent au roi des Franks, eux et leurs villes[1]. L’un d’eux, Soleyman-Ebn-Jaktan-Alarabi, était gouverneur de Saragosse ; l’autre est appelé « Abuthaur » par nos historiens. Le fils de Pépin vit bien vite à qui il avait affaire, et dut se rappeler cette parole de l’Évangile : « Tout royaume divisé contre soi périra. » Les musulmans d’Espagne étaient en pleine discorde.

  1. « Venit in codem loco ac tempore, ad regis præsentiam, de Hispania Sarracenus quidam, nomine Ibinalarbi, cum aliis Sarracenis sociis suis, dedens se ac civitates quibus cum rex Sarracenorum præfecerat » Éginhard, Annales, ann. 777, reproduit par le Poëte saxon, etc., etc.)