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INTRODUCTION

Roland : rien n’est plus français que ce mélange. Lisez Villehardouin et Joinville, lisez les vers de Thibaut de Champagne et de Quènes de Béthune, lisez tous nos chroniqueurs et tous nos poëtes : vous constaterez partout, chez le chevalier de France, une foi simple et rude, voire même certains éléments de sainteté, que peut-être on ne trouverait pas ailleurs au même degré. Nous ne pouvons qu’indiquer fort rapidement les éléments d’une constatation très-facile : les textes se pressent sous notre plume. Roland, en résumé, nous apparaît comme le type le plus héroïque, mais surtout le plus exact, de la race française[1]. Il remplit donc toutes les conditions du héros épique.

Telle est, dans la formation de la légende Rolandienne, « le rôle de l’histoire, de la réalité ; mais il faut, comme nous l’avons dit, faire la part de l’imagination ». Transportons-nous, si vous le voulez bien, aux IXe et Xe siècles. Placés fort loin des Pyrénées et connaissant à peine l’existence des Gascons, nos Français du Nord attribuèrent fort naturellement le désastre de Roncevaux à ces terribles Sarrazins qui devenaient de plus en plus les ennemis mortels, et, pour ainsi dire, uniques de la Chrétienté. La Prusse, dit-on, appelait la France de ce nom tout court : l’Ennemi ; il en fut de même des musulmans aux yeux de nos pères. La grande invasion de 792-793, et la victorieuse défaite du comte Guillaume sur la rivière de l’Orbieux, à Villedaigne, ne firent que donner une nouvelle force à ces idées et augmenter encore cette confusion[2]. Tout ennemi

  1. V. dans les Épopées françaises, II, pp. 152-159, le « Portrait de Roland d’après toutes les Chansons de geste ».
  2. Sur l’invasion terrible de 792-793 nous possédons les textes les plus précieux : I. « Anno 792, Sarraceni, Septimaniam ingressi prælioque cum illius limitis custodibus atque comitibus conserto, multis Francorum interfectis, ad sua regressi sunt. » (Éginhard, Annales, 796.) ═ II. « Anno 793, Sarraceni, venientes Narbonam, suburbium ejus igne succenderunt multosque Christianos, ac, præda magna capta, ad urbem Carcassonam pergere volentes, obviam eis exiit Willelmus, quondam comes, aliique comites Francorum cum eo, commiseruntque prælium super fluvium Oliveio, ingravatumque est prælium nimis ceciditque maxima pars in illa die ex populo christiano.