de la France fut dès lors décrété musulman par l’opinion populaire. En 812, nouvelle trahison des Gascons[1]. En 824, les Français sont encore surpris dans les Pyrénées par ces montagnards rusés et cruels : les comtes Eble et Asinaire périssent dans cet autre Roncevaux[2]. Ces nouveaux échecs confirment la légende du désastre primitif avec lequel ils se confondent ; mais on ne laisse pas de les mettre également sur le compte des Sarrazins. Ce fut bien pis encore au XIe siècle. La haine des deux races fut alors à son comble. Le monde entier ne parut plus qu’un champ de bataille immense où combattaient, la lance au poing, les champions et les ennemis de Jésus-Christ. Il importe donc assez peu qu’il y ait eu réellement des Sarrazins à Roncevaux en 778. L’imagination fut ici la plus forte et donna pour unique ennemi à la France ses adversaires les plus redoutables. Rien n’est plus logique.
Et maintenant voyez, voyez se former petit à petit la légende de notre Roland. Le fait historique de 778 a été exagéré, dilaté, agrandi. On a fait de Roncevaux une défaite gigantesque d’où peut dépendre la vie de tout un grand peuple et qui conduit aux précipices la France avec l’Église elle-même. Les Gascons ont été transformés en Sarrazins. Le premier rôle de ce drame élargi a été hardiment donné à Roland, et l’on n’a laissé au roi Charles que la mission de le venger. Ces représailles, il est vrai, n’ont aucune réalité dans l’histoire ; mais l’idée de la Justice et du Châtiment est trop ancrée dans l’esprit du peuple pour qu’il puisse tolérer que les vainqueurs de Roland
- ↑ « Superato pene difficili Pyrenæorum transitu Alpensium, Pampelonam Ludovicus descendit… Sed, cum per ejusdem montis remeandum foret angustias, Wascones, nativum assuetumque fallendi morem exercere conati, mox sunt prudenti astutia deprehensi. » (L’Astronome Limousin, Vita Hludovici, § 18 ; Pertz, Scriptores, II, 615, 616.)
- ↑ Éginhard, Annales, 824. Éd. Teulet, I, 372. — L’Astronome Limousin, Vita Hludovici ; Pertz, Scriptores, II, 628.
Willelmus autem pugnavit fortiter in die illa… Sarraceni vero, collectis spoliis, reversi sunt in Hispaniam. » (Annales Moissacences, ann. 793. — Cf. Annales Fuldenses et Hepidanni monachi Annales.) Des quelques lignes qui précèdent sont sortis toute la geste de Guillaume-au-court-nez et le beau poëme d’Aliscans que nous nous proposons de traduire.