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xxiv
INTRODUCTION

restent longtemps impunis. Donc, — au lieu de chercher inutilement, comme dans Éginhard, la trace des Gascons devenus invisibles, — Charles rencontre les Sarrazins et leur inflige dans notre poëme une défaite honteuse. Dans notre légende, comme dans le drame populaire, l’Innocence à la fin triomphe et la morale est satisfaite. Et voilà le canevas de presque toute notre Chanson.

Néanmoins, il y manque un élément important, une personnalité, un type nécessaire. Que la légende ait dû inventer les noms des Rois ou des Émirs sarrazins, rien de plus naturel ; qu’elle leur ait prêté les mœurs et les costumes des princes ou des barons chrétiens, rien de plus conforme aux procédés de la poésie populaire ; qu’elle nous fasse assister à des Conseils tenus par des rois païens et nous en offre une peinture toute semblable à celle de nos propres Assemblées françaises : c’est encore un usage des Épopées anciennes. Je ne m’étonne pas que le poëte ait emprunté à la Bible le miracle de Josué arrêtant le soleil et qu’il l’ait approprié à Charlemagne, notre Josué. Je m’explique encore qu’il ait plusieurs fois employé les songes et nous ait décrit les présages surnaturels qui annoncèrent la mort de Roland : ce sont là de ces histoires universelles qui circulent chez tous les peuples et qu’on retrouve dans toutes leurs poésies. Mais je ne comprendrais pas que la légende eût omis de créer ce type qui existe dans toutes les Épopées indo-européennes : le Méchant, le Maudit, le Traître. Il fallait, de toute nécessité, qu’elle incarnât ce type dans un homme vivant et qu’elle lui communiquât une vie réelle ; car la Légende ne connaît pas les abstractions et ne nous montre que des êtres de chair et d’os. À la légende de Roland il fallait un traître.

Ce fut Ganelon.

Ils se sont étrangement trompés, ceux qui ont avidement fouillé les chroniques pour faire de Ganelon un personnage historique, réel. Génin, malgré tout son esprit et bien qu’il adoptât une vieille idée de Leibnitz, nous paraît avoir fait fausse route lorsqu’il nous a offert le fameux Wenilo, arche-