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INTRODUCTION

que sous Philippe-Auguste, nous ne sommes guère avancés ; car nous savons déjà notre Chanson antérieure à 1180. Toutefois, voici un trait nouveau. Il n’est pas une seule fois question dans notre poëme des chausses de mailles, qui, suivant M. J. Quicherat, ont été pour la première fois employées sous le règne de Philippe Ier, et dont il existe déjà un exemple grossier dans la tapisserie de Bayeux[1]. On pourrait par là soupçonner notre poëme d’être tout au moins antérieur au dernier tiers du XIe siècle.

Mais l’histoire nous va venir en aide, et nous fournir un meilleur élément de critique.

Le poëte nous parle quelque part[2] du païen Valdabrun, qui possède quatre cents vaisseaux, et, pour peindre ce misérable en quelques mots, il ajoute :


Jérusalem prist jà par traïsun ;
Si violat le temple Salomon,
Le Patriarche ocist devant les funz.


Ces trois vers nous persuadent que notre poëte chantait avant la première croisade. S’il avait écrit le Roland après la conquête de Jérusalem par les Latins, il n’aurait certes point parlé en termes aussi précis d’une invasion musulmane et d’un meurtre commis sur le Patriarche. Non, non : dans l’esprit de notre trouvère, Jérusalem appartient encore aux Infidèles, Jérusalem n’est pas encore entre nos mains. Au siècle suivant, l’auteur du Voyage à Jérusalem nous représentera la Cité sainte comme une ville au pouvoir des chrétiens, avec un Patriarche libre et honoré ; mais c’est que très-évidemment il écrivait après la fondation du royaume latin de Jérusalem. L’auteur du Roland eût pu, je pense, être son père.

  1. Il est ailleurs question (3,090) de signes de ralliement sur les écus : « Escuz unt genz de multes cunoisances. » C’est l’origine des armoiries. Mais rien de précis quant à la date.
  2. Vers 1,519-1,525.