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lxxxiv
INTRODUCTION

Jacques. Le Roi n’était venu qu’à cette intention ; une fois sa tâche remplie, il se retire, et le Chroniqueur se tait.

Il ne reste plus à l’érudition de nos jours qu’à fixer l’époque où écrivait l’auteur de ces premiers chapitres ; où vivait cet historien crédule, mais de bonne foi. Or nous possédons ici un précieux élément de critique. Pendant les dernières années du xie siècle ou au commencement du xiie, les moines de Compostelle Muñio Alfonse, Hugues et Girart écrivirent la fameuse Historia Compostellana. Ils y racontent longuement l’histoire de l’invention des reliques de saint Jacques… « Pendant la domination des Sarrazins, ce trésor avait été caché aux regards des profanes. Un miracle en indiqua la place à l’évêque Théodemir ; le roi Alfonse les visita et bâtit en leur honneur un sanctuaire modeste ; puis, ce fut le tour de Charlemagne, qui obtint du pape Léon de beaux priviléges pour l’église de Saint-Jacques ; l’évêque d’Iria devait désormais habiter cette église, etc. etc. » Tel est le très-célèbre récit de l’Historia Compostellana, qui peut passer pour la « version officielle », émanée de l’église de Compostelle elle-même. Or, nos cinq premiers chapitres renferment un récit notablement différent de celui-là. Donc, ils sont antérieurs. Car, quel est le chroniqueur, quel est l’Espagnol qui, après la publication de l’Historia Compostellana, aurait osé se mettre ainsi en désaccord avec elle ? M. G. Paris conclut en fixant, au milieu du xie siècle, la rédaction de la première partie du Faux Turpin. Nous adoptons volontiers cette conclusion.

Il était plus difficile de critiquer et de dater les autres chapitres, les seuls d’ailleurs qui se rapportent directement à notre légende. Tout d’abord, il est évident que l’auteur est Français. La plupart des manuscrits de la Chronique renferment sur saint Denis des interpolations qui ne se pourraient comprendre de la part d’un Espagnol. Mais, à n’examiner que le texte le plus ancien, l’ignorance des choses espagnoles, la connaissance des héros, des lieux et des poëmes français, la dévotion à saint Denis, le peu de place laissé à saint Jacques, tout concourt à prouver la nationalité de notre chroniqueur.