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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/99

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Si l’on veut bien se représenter la nature des cinq premiers travaux du remanieur, on se persuadera aisément qu’ayant pris tant de libertés, il devait naturellement en prendre beaucoup d’autres, ou, pour mieux dire, les prendre toutes. C’est ce qu’il fit. Il lui arriva tout d’abord de faire des ratures hardies dans l’œuvre de son devancier ; il supprima des vers, puis des couplets entiers. Quelques-uns des vers ainsi dédaignés et omis étaient coupables d’absurdité[1] ; plus souvent l’assonance y était rebelle à la rime[2] et ne voulait pas aisément se laisser transformer. D’autres fois ce sont des oublis, des omissions sans excuse[3]. Il y a, toutes proportions gardées, plus de laisses supprimées que de vers omis. Parfois deux couplets du texte original sont fondus en un seul[4]. Est-ce par scrupule littéraire que le rajeunisseur a omis la laisse de notre vieille rédaction où l’on décrit avec trop de réalisme les cérémonies mortuaires, l’embaumement des corps, etc.[5] ? À coup sûr, des strophes très-importantes ont été passées par pure négligence[6], et ce qui le prouve bien, c’est que tous les remanieurs ne sont pas coupables de la même omission : on trouve dans le texte

  1. Tel est le fameux vers si embrouillé : Puis, si li dites, il n’en irat, se m’creit (Oxf., v. 2,753), qui est omis dans le remaniement de Paris. Cf. le v. 156 du texte primitif qui est également passé dans celui de Versailles.
  2. En voici un exemple frappant. Le texte primitif porte ces vers : Li Empereres en tint sun chef enclin ;De sa parole ne fut mie hastifs ; — Sa custume est qu’il parolet à leisir (v. 139-141). Le second vers a été passé par le rajeunisseur du texte de Versailles, qui n’a pu le faire entrer dans un couplet en a.
  3. Seignurs baruns, qui i purruns enveier — Al Sarrazin ki Sarraguce tient (Oxf., 252, 253). Le second vers, qui cependant est très-utile, a été omis par le remanieur (Versailles, v. 295).
  4. Les laisses du texte d’Oxford cc et cci ont été fondues en un seul couplet de Paris, le ccli.
  5. Strophe ccxvi d’Oxford.
  6. Tels sont les couplets du texte d’Oxford cxciii où l’on raconte l’arrivée de Baligant en Espagne, et xlvii où Marsile fait jurer Ganelon sur les reliques de son épée ; etc. L’un est omis par le rajeunisseur du texte de Paris, l’autre est passé dans le remaniement de Versailles. — Cf. la laisse ccviii, omise dans Paris, etc. etc.