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INTRODUCTION

Au lieu de : Un algier tint[1], il écrira : Il tint un dard[2] ; et au lieu de : Od vos caables[3], il dira : O vos engiens[4]. D’autres fois encore, ce sont certaines tournures grammaticales qu’il est obligé de modifier, parce sans doute qu’elles ne sont plus admises. Le poëte antique avait écrit : Par cels de France voelt-il del tut errer[5] ; le nouveau se croit obligé d’écrire : Par cels de France voloit tot jor esrer[6]. Certaines fautes, enfin, lui semblent plus graves. Geoffroi d’Anjou était désigné, dans le texte d’Oxford, sous le nom de roi gonfanuner[7] ; notre remanieur s’empresse de lui retirer cette royauté et remet notre Angevin à sa place : Geofroy d’Anjou, qui est gonfanonier[8]. Ce rajeunisseur avait le sentiment de la justice..., à moins cependant qu’il ne fût un peu courtisan.

  1. Oxford, v. 439.
  2. Versailles, v. 442.
  3. Oxford, v. 237.
  4. Versailles, v. 278.
  5. Oxford, v. 167.
  6. Versailles, v. 198.
  7. Gefreid d’Anjou, le rei gunfanuner. Oxford, v. 107.
  8. Versailles, v. 123. Quelques autres changements de nos rajeunisseurs sont mieux motivés. Parfois ils trouvent obscur le texte de leur devancier, et essaient de le rendre plus lucide. Au lieu de ce vers amphibologique : Dient paien : « De ço avum nus assez (Oxf., v. 77), » ils écrivent ce vers plat, mais clair : Dient païen : « Bien s’en doit hom pener. » (Versailles, v. 87.) ═ D’autres fois les remanieurs atténuent à dessein la pensée du vieux poëte. Dans le texte d’Oxford, Blancandrin craint que Marsile n’en soit un jour réduit « à mendeier » (v. 46). Cette hyperbole paraît excessive au rajeunisseur, qui écrit plus simplement : Que nos sofrons d’Espaigne cel dangier (Versailles, v. 58), etc. ═ Mais, en général, les corrections de nos remanieurs sont maladroites : il est aisé de voir que, trop souvent, ils n’ont pas compris les beautés de leur modèle. À la place de ces vers de notre texte d’Oxford qui peignent si bien le caractère de nos deux héros : Rollanz est proz e Oliver est sage : — Ambedui unt merveillus vasselage (v. 1,093, 1,094), le très-médiocre auteur du remaniement de Paris met les deux suivants, qui sont d’une extraordinaire insignifiance : Rollans fu pros, et Olivers li bers. — Paringal furent et compagnon et per (couplet ci). Et ailleurs, que de contre-sens ! Au lieu de : Li duze per mar i serunt jugez (Oxf., v. 262), le rajeunisseur du texte de Versailles (ou le scribe) écrit bravement : Des douze per mar serez jugiez (v. 307). Au lieu de : E si ’n averez, ço quid, de plus gentilz (Oxf., v. 150), le même remanieur écrit : Jà plus gentis de lui un soul n’en a (Versailles, v. 177, etc). La liste de ces sottises serait trop longue.