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NOTES ET VARIANTES

et veut se faire chrétien. Il est impie de vouloir la guerre, quand on peut avoir la paix. Mon avis, en conséquence, est que vous envoyiez un homme sage à Marsilius, pour faire avec lui une alliance qui soit solide, et ramener ici des otages. » L’Empereur demanda qui il conviendrait le mieux d’envoyer à cet effet. Le duc Neimis s’offrit pour partir ; l’Empereur lui lança un regard courroucé, et dit : « Tu resteras auprès de moi cette première année (?). » Roland s’offrit aussi pour partir ; Olivier dit : « Il n’est pas bon que tu partes, car tu es trop vif ; tu serais plutôt il une cause de désunion que de concorde. » Roland dit : « Y a-t-il quelqu’un plus propre pour ce message que le duc Gevelon, mon beau-père ? » Tous furent de cet avis. L’Empereur ordonna donc à Gevelon de se rendre auprès du roi Marsilius. Et Gevelon dit à Roland : « C’est toi qui es cause de ce qui arrive ; aussi ne serai-je plus désormais ton ami. Et c’est toi qui es cause aussi que nous restons si longtemps après la victoire gagnée. Si je reviens de ce voyage, je causerai ta mort et celle de tes compagnons. Donc je vais partir ; mais je sais bien que je n’en reviendrai pas en vie, car le roi Marsilius me fera tuer. » Roland et les douze Pairs rirent de ces paroles, et Gevelon fut si furieux qu’il hésita sur ce qu’il devait faire. Des lettres furent écrites, et le secrétaire les remit à Gevelon pour qu’il les portât à Marsilius ; mais Gevelon détourna les mains, et les lettres tombèrent par terre. Les douze Pairs sourirent, et Roland dit : « Si l’Empereur m’avait confié les lettres, la peur ne me les aurait pas fait lâcher, et elles ne seraient pas tombées par terre. »

Gevelon reprit les lettres, partit pour aller trouver le roi Marsilius et lui remit le message. Le roi Marsilius le reçut amicalement. Blankandin dit à Gevelon : « Je sais bien que l’empereur Charlemagne est un puissant (géant ou guerrier, sens étymologique) ; mais maintenant il est vieux. Je crois que Roland, un des douze pairs, le pousse beaucoup à la guerre et aux combats. » Le duc Gevelon répondit : « C’est vrai, comme tu le dis ; Roland surtout est cause de tout cela, et nous avons eu beaucoup de mal par sa faute. Plût à Dieu qu’il fût mort ! nous aurions aujourd’hui une bonne paix. Mais il ne sera satisfait que lorsqu’il aura conquis le monde entier. » Quand le roi eut lu la lettre, il vit que l’Empereur se qualifiait de « roi légitime de la terre d’Espagne » ; c’est pourquoi il entra en colère et frappa Gevelon avec un bâton. Gevelon tira son épée, et dit : « L’Empereur demandera que ma mort soit vengée. » Le conseil du roi intervint, et dit que le roi avait tort. Un des hommes de Marsilius, nommé Langelif, lui dit : « Écoute les paroles de Gevelon : ce peut être meilleur pour nous que tu ne le penses. » Le roi Marsilius dit alors à Gevelon : « Je reconnais que j’ai eu tort envers toi, et j’en userai mieux à ton égard. » Et il lui donna un manteau qui valait