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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 2.djvu/262

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NOTES ET VARIANTES

cent livres d’argent, et dit : « Je m’étonne que ton maître soit si avare (ou ambitieux, au sens allemand), étant si âgé. » Gevelon répondit : « L’Empereur est un noble seigneur, favorisé (mot à mot bien vu) de Dieu, et j’aimerais mieux mourir que d’avoir son inimitié. Tant que Roland vivra, nous n’aurons jamais la paix ; les douze Pairs sont tellement fiers (superbes rendrait mieux le sens et le mot à mot, qui est prodigue, luxueux), qu’ils ne craignent personne. » Le roi Marsilius dit : « J’ai quatre cent mille hommes de troupes : puis-je avec eux résister à la puissance de l’Empereur ? » Gevelon lui répondit : « Il n’y a pas à y songer pour l’instant. Je veux te donner un meilleur conseil : envoie à l’Empereur de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, et deux hommes en otage que l’Empereur emmènera en France. Roland restera pour la garde du pays. Marche alors sur lui avec toutes tes troupes et divise ton monde en quatre parties, afin qu’elles ne combattent pas toutes ensemble et sur un seul point. Et tu le fatigueras plus facilement. » Le roi Marsilius le remercia de son conseil et dit : « Il est bien sûr qu’avec un tel plan nous vaincrons Roland. » Gevelon lui en fit serment et demanda que le roi lui jurât aussi de ne pas le trahir ; le roi jura qu’il ne le trahirait point. Les conseillers de Marsilius jurèrent ensuite et dirent qu’ils vaincraient sûrement Roland.

Gevelon partit pour retourner auprès de l’Empereur, emportant avec lui beaucoup d’or et d’argent, et il dit à l’Empereur : « J’ai ici beaucoup d’or et d’argent que le roi Marsilius vous envoie, ainsi que les clefs du château fort de Saragus, avec les otages ; il se fera certainement chrétien et deviendra votre vassal. » L’Empereur remercia Dieu et dit : « Tu as accompli le message en fidèle serviteur. » L’Empereur réunit alors son conseil et ses hommes sages, et leur demanda qui d’entre eux voulait rester en arrière à Runtseval, qui était sur la frontière. Gevelon répondit : « Roland est celui qui convient le mieux, et il est parfaitement l’homme qu’il faut pour rester ici à garder le pays. » L’Empereur jeta sur lui un regard courroucé et dit : « Quel sera donc le capitaine qui ramènera mon armée en France ? » Gevelon répondit : « Ce pourrait être Olger le Danois. » Roland reprit et dit : « Gevelon, si je reste ici avec l’arrière-garde, je ne serai pas aussi effrayé que tu l’as été quand tu as laissé tomber la lettre de tes mains. » L’Empereur dit à Gevelon : « Tes paroles ont un sens étrange. » Roland dit : « Seigneur, je resterai volontiers avec l’arrière-garde. » L’Empereur fut tellement touché de ces paroles que les larmes lui coulèrent des yeux, et il dit : « Restez aussi, vous, les douze Pairs, avec vingt mille hommes, et Roland sera votre capitaine. » Puis l’Empereur fit ployer les tentes et lever le camp, et il se mit en marche pour la France.